eye-simposium

APPROCHES DU QUOTIDIEN
Liste des résumés

Samedi 5 décembre

Session 1 « Le quotidien au cinéma »

TETSUYA MIURA (Université Aoyama Gakuin)
« L’automatisme chez Bresson et Ozu »

(en japonais, avec traduction simultanée en français)

Le thème commun aux derniers films de Yasujiro Ozu est la question de savoir comment accueillir la « séparation » et la « mort » afin de permettre à la vie quotidienne (la communauté familiale) de se régénérer. Or, cet « accueil », ne pouvant jamais résulter d’un jugement rationnel, exige un véritable saut au niveau de l’intrigue. Jusqu’à présent, les commentateurs ont souvent expliqué ce saut inexplicable au niveau psychologique en invoquant la notion japonaise traditionnelle de « mono no aware ». Notre communication se propose de le réinterpréter au moyen de la notion d’« automatisme », en se référant aux œuvres de Robert Bresson.


ÉLISE DOMENACH (École Normale Supérieure de Lyon)
« L’automatisme et le quotidien dans la pensée du cinéma de Stanley Cavell : de Fred Astaire à Chantal Akerman »

(en français, avec traduction simultanée en japonais)

Nous partirons de l’analyse de textes cavelliens qui mettent en évidence l’attachement ontologique du medium cinématographique à l’expression du quotidien – c’est-à-dire de ce qui se répète dans nos vies ordinaires –, et ce que ce lien ontologique doit à l’exploration par Cavell du concept d’« automatisme » dans le cadre de sa réflexion sur le modernisme du médium cinématographique (dans The World Viewed, 1971). Nous montrerons comment cette analyse a trouvé ultérieurement (Philosophy the Day After Tomorrow, 2005), dans l’exploration des routines de Fred Astaire dans la comédie The Bandwagon (Minnelli, 1953) un objet d’étude privilégié. Mon questionnement portera sur ce qui fait que la routine est heureuse, c’est-à-dire qu’elle devient une « expression appropriée de l’ordinaire » (Cavell). Et comment le cinéma peut exprimer la possibilité inverse de routines catastrophiques, conduisant au drame. Nous proposerons dans un second temps de jeter les bases d’un réinvestissement de cette configuration théorique pour penser l’expression cinématographique des catastrophes ordinaires ou quotidiennes, en prenant pour objet d’étude (en hommage à cette grande cinéaste récemment disparue) le court film de Chantal Akerman : Saute ma ville (1968).




Session 2 « Photographie et quotidien »

« Le trépied, la perche à selfie, le drone : une histoire des supports de l’appareil photographique »

(en japonais, avec traduction simultanée en français)

Bien que l’histoire de la photographie bénéficie d’une abondante littérature, celle du support de l’appareil photographique, à savoir le trépied, est beaucoup moins connue. Le fait que la photographie ait toujours cherché à se débarrasser de ce support est une des causes de cette méconnaissance. L’entrée de l’appareil photo dans la vie quotidienne des gens n’a été possible qu’après l’abandon de cet accessoire, que la photographie a hérité du télescope et de la mitrailleuse. Or, l’invention de l’appareil portatif a-t-elle vraiment permis de produire des images inédites, qu’on n’aurait pas pu prendre avec le trépied ? Notre exposé cherchera tout d’abord à montrer que les images prises par un appareil compact sont toujours hantées par le fantôme du trépied, et d’autre part à vérifier si de nouveaux matériels comme la perche à selfie ou le drone pourraient enfin conjurer ce fantôme.。


CATHERINE CLARK (Massachusetts Institute of Technology, États-Unis)
« Le photographe amateur et les archives du quotidien : Paris, 1970 »

(en français, avec traduction simultanée en japonais)

Cette intervention propose de tracer les perspectives sur le quotidien inscrites dans les images issues du concours de photographie amateur « C’était Paris en 1970 », organisé par la Fnac et soutenu par l’ORTF, le préfet de Paris, le préfet de police et le président du conseil municipal. Le concours a attiré près de 15,000 participants missionnés pour sauver de l’oubli le Paris de l’époque, en photographiant tous les recoins de la capitale avec l’ambition d’en établir des archives exhaustives pendant le mois de mai 1970. Ils ont produit des archives, aujourd’hui conservées à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, de 100,000 photos de la ville en pleine mutation urbaine – et de la vie quotidienne des Parisiens.




Session 3 « Approches théoriques du quotidien »

PATRICK FFRENCH (King’s College London, Royaume-Uni)
« Barthes et l’objet : vers un matérialisme du quotidien »

(en français, avec traduction simultanée en japonais)

Quel est le rapport entre la « critique de la vie quotidienne », comme elle s’est développée à travers le travail d’Henri Lefebvre parmi d’autres dans l’après-guerre en France, et les tendances philosophiques et théoriques contemporaines vers une « ontologie plate » (Garcia), une « démocratie d’objets » (Bryant) ou une affirmation de la « matière vivante » (Bennett) ou des « trucs » [stuff] (Boscagli) ? Peut-on considérer la critique de la vie quotidienne comme faisant partie d’une stratégie globale vers un matérialisme de la vie quotidienne ? Pour commencer à répondre à ces questions, je propose d’examiner différentes approches de l’objet dans le travail de Roland Barthes. Dans quelques articles des années 1950 et 60, le travail de Barthes sur l’objet le retire de la transparence et de la circulation lisse de l’ordre de l’échange pour promulguer une attention à l’objet comme signe ou comme forme visuelle. On peut se demander alors où, dans l’œuvre de Barthes, l’objet empiète en tant que réalité empirique ou matérielle ? Je voudrais proposer que ce n’est pas tant le cas sous la forme d’une attention analytique au quotidien ou à l’objet en tant que tel comme topos ou comme sujet, mais plutôt dans le rythme et la syntaxe de l’écriture barthésienne elle-même, sous la forme d’une rhétorique intermittente de l’énumératif. À travers une considération de quelques exemples de ces procédures itératives, je voudrais suggérer que Barthes suit une approche quasi-nominaliste qui nous invite à considérer sa place dans le cadre d’un matérialisme de la vie quotidienne.


BARBARA FORMIS (Université Paris 1-Panthéon Sorbonne)
« Au-delà du quotidien et du banal : l’ordinaire comme esthétique de la vie »

(en français, avec traduction simultanée en japonais)

L’ordinaire n’est ni quotidien (puisqu’il se déploie dans une temporalité plus dilatée), ni banal (puisqu’il ne s’aplatit pas sur le passé et le déjà-connu). L’ordinaire est une forme esthétique de l’existence. Si l’esthétique considère l’art comme le siège privilégié de production de concepts c’est parce que l’art fonctionne au sein du sensible, et ce sensible est avant tout impersonnel et intersubjectif. Tout particulièrement, les pratiques de l’art vivant (notamment la danse, la performance et le théâtre) placent l’œuvre au milieu d’une expérience complexe entre plusieurs sujets, en dépassant l’identification classique de l’œuvre d’art à un objet. L’esthétique devient ainsi une véritable philosophie du corps qui relie le sens du vécu esthétique propre à une œuvre d’art à celui d’une expérience ordinaire. Cela permet d’ancrer la philosophie dans les pratiques artistiques pour tenter de construire une esthétique où la vie ordinaire montre sa capacité créatrice.




Session 4 « Quotidien et modes de vie »

NORITO KUNISUE (Journal « Asahi Shinbun »)
« Le quotidien et le “non quotidien” gastronomique, en France et au Japon »

(en japonais, avec traduction simultanée en français et en anglais)

Lorsque Michelin dévoila pour la première fois son Guide rouge de Tokyo en 2007, il fit face à une avalanche de critiques. On a par exemple entendu des choses comme : « les français sont incapables de comprendre les saveurs japonaises ». Ou bien : « ils n’ont jamais mis les pieds dans un restaurant de ramen ». Ou encore : « ne risquent-ils pas d’être trop indulgents vis-à-vis des restaurants français ? »
On retrouve ce genre de discours assez fréquemment dans les médias japonais. Pour comprendre ce phénomène, il faut être conscient du clivage qui existe entre le Japon qui considère le fait de manger à l’extérieur comme un acte de la vie ordinaire, et la France qui considère la sortie au restaurant comme un moment solennel.
Je voudrais revenir plus en détail sur les évolutions de l’acte de « sortir au restaurant » dans l’objectif de mieux saisir les différences de pratiques culinaires qui existent entre les deux pays.

HAJIME HASEGAWA (Université Meiji Gakuin, Tokyo)
« Le quotidien comme attraction : interaction entre corps et technologie »

(en japonais, avec traduction simultanée en français et en anglais)

Cette communication soutient que le concept d’« attraction » peut être utilisé comme un nouvel angle d’approche pour saisir des aspects contemporains de la vie quotidienne. En effet, l’attraction peut être conçue, au même titre que les manèges du Disneyland de Tokyo, comme un système en mouvement de coopération synchronisée entre le corps et la technologie. Il s’agit d’une sorte de mécanisme d’apprentissage basé sur la participation et l’expérience, qui produit en tant que tel des formes assez sophistiquées de domination impliquant les gens dans des situations données et les privant de leur faculté d’imaginer des alternatives externes. Cependant, le concept d’attraction ne va pas non plus sans une part d’ambiguïté, dans la mesure où il inclut un dispositif permettant sa propre relativisation. Le nouvel angle d’approche suivi dans cette étude permet ainsi d’illuminer et d’explorer notre pratique quotidienne sous la forme d’aires de jeux marquées par leur ambiguïté.




Session 5 « Les couleurs du quotidien »

JUN TANAKA (Université de Tokyo)
« Les couleurs du quotidien selon le photographe Shigeo Gochô »

(en japonais, avec traduction simultanée en français et en anglais)

Shigeo GOCHÔ (1946-1983) est généralement considéré comme l’un des photographes représentatifs de la « photographie contemporaine » (konpora shashin) japonaise. Notre intervention se propose de revisiter entre autres son dernier recueil photographique – Dans une ville familière (『見慣れた街の中で』) – pour s’interroger sur l’effet psycho-affectif des couleurs dans la photographie. Nous nous attarderons notamment sur ce que Gochô a appelé « les existences se multipliant dans le remous opaque du quotidien », qui renvoient chez lui aux « ombres mystérieuses de l’être humain ». Pour finir, nous traiterons également d’autres œuvres de Gochô telles ses Voyages spirituels (『扉をあけると』), album de taches d’encre peintes évoquant le test de Rorschach.




Session 6 « Critique de la vie quotidienne »

BEN HIGHMORE (Université du Sussex, Royaume-Uni)
“Lifestyle, Taste, and the Critique of Everyday Life”

(en anglais, avec traduction simultanée en japonais uniquement)

Henri Lefebvre’s extensive critique of everyday life consistently located its object (everyday life in the modern world) as the product of historical and dialectical forces. Nowhere was this more evident than in the analysis of a consumer-based lifestyle culture, seen as the capitalist replacement of older, more organic styles of living. For Lefebvre the new lifestyle culture revealed the extensiveness of our alienation within daily life while also pointing to an imminent critique of modern life. The intricacies of this historical and dialectical approach become more evident when they are pursued through historical case studies. The British lifestyle shop Habitat, launched in 1964, was a taste formation that offered a lifestyle based on an idea of Mediterranean food, informal sociability, and a domestic aesthetic that liberally borrowed from Japan. Habitat wanted to democratise modern domestic design and ended-up exacerbating the uneven development of everyday life: it simultaneously provided the accoutrements for urban gentrification and the scenography for middle-class radicalism. In this paper I will explore the potential of Lefebvre’s work for the empirical analysis of consumer culture using Habitat as my case-study.




Dimanche 6 décembre

Session 7 « Culture et quotidien au Japon de l’ère Heian (11e siècle) à l’ère Muromachi (16e siècle) »

TAKASHI TAMURA (Université de Tokyo)
« L’écriture du quotidien chez Murasaki Shikibu »

(en japonais, avec traduction simultanée en français)

Le Dit du Genji, roman écrit par Murasaki Shikibu durant l’époque de Heian (11ème siècle), peut être considéré comme une sorte de récit du « non-quotidien » dans la mesure où on y a affaire à une littérature de cour qui raconte la vie d’un petit nombre d’aristocrates. Cela n’empêche cependant pas qu’il y ait, dans ce récit apparemment « non-quotidien », à la fois le « quotidien » et le « non-quotidien ». Nous voudrions dès lors considérer comment ce « quotidien » japonais d’il y a mille ans est soigneusement rédigé dans Le Dit du Genji ou le Journal de Murasaki Shikibu, sous les deux aspects suivants : « Waka et prose » et « Kanji et Kana ».

SEISHI NAMIKI (Université des arts et techniques de Kyoto)
« La naissance de la peinture de genre au XVIe siècle au Japon : à propos du Rouleau sur les mérites comparés du saké et du riz »

(en japonais, avec traduction simultanée en français)

La peinture de genre s’est établie au 16ème siècle au Japon en représentant le quotidien de gens ordinaires. L’un de ses premiers exemples est Les Scènes dans et autour de la Capitale (Rakuchu rakugai zu), paravent dépeignant la ville de Kyoto de cette époque-là. Dans Les Scènes dans et autour de la Capitale, qui constitue une carte de la ville de Kyoto après la guerre d’Ônin – s’étant déroulée de 1467 à 1477 –, on trouve un aperçu de divers endroits célèbres comme le palais impérial ou les résidences des généraux, mais également du quotidien des gens passant dans la rue. On retrouve cependant une autre œuvre à l’origine de cette peinture de genre : le Rouleau sur les mérites comparés du saké et du riz (Shuhanron emaki). Ce rouleau peint raconte un débat entre un amoureux du saké, un amoureux du riz et un modéré qui apprécie les deux et adopte une position médiane. Mais ce rouleau nous montre aussi les différents aspects des habitudes alimentaires de l’époque, dessinant ainsi assez clairement le quotidien des gens ordinaires, en particulier concernant leurs manières de table. Dans notre intervention, nous voudrions présenter le rôle joué par ce rouleau dans la genèse de la peinture de genre au Japon.



Session 8 « Écrire le quotidien sous la Renaissance »

TAKESHI KUBOTA (Université Aoyama Gakuin)
« Les Essais de Montaigne ou l’écriture du quotidien »

(en japonais, avec traduction simultanée en français)

Les Essais, que Montaigne désigne comme un « livre consubstantiel à son autheur », sont le produit d’une écriture et d’une réécriture permanentes dans sa vie d’oisiveté et de contemplation, loin de ses activités politiques. En effet, cette œuvre témoigne non seulement des descriptions psychologique et physique de Montaigne dans sa démarche « simple, naturelle et ordinaire », mais également de son dialogue avec les Anciens entretenu au cours de ses lectures quotidiennes. Montaigne y note aussi ses réflexions sur son époque contemporaine et sur les divers thèmes familiers qu’il remarque dans sa vie de tous les jours. Dans notre intervention, nous tenterons d’expliquer comment Montaigne trouve, à partir de la quotidienneté, une sagesse intemporelle, selon les axes suivants : l’écriture de Montaigne au quotidien, l’écriture du monde quotidien, et le langage quotidien des Essais.




Session 9 « Le quotidien dans les lettres françaises et japonaises au 18e et début du 19e siècle »

HISASHI IDA (Université Aoyama Gakuin)
« Le quotidien chez les écrivains des Lumières – le cas de Diderot »

(en japonais, avec traduction simultanée en français)

Le mot « quotidien » nous fait penser à la « vie quotidienne » des gens, ce qui n’était pas le cas dans la France du XVIIIe siècle d’après ce que nous apprennent les dictionnaires de l’époque. L’idée de la vie quotidienne serait donc une invention assez moderne. Elle présuppose sans doute un rythme de vie régulier géré souvent par les horaires du travail professionnel, le temps privé et les loisirs étant sa marge.
Cela ne signifie pas que les écrivains des Lumières, qui se trouvaient à l’orée de la modernité, ignoraient cet aspect journalier de la vie individuelle et collective des gens, qui était pourtant assez méconnu dans la littérature classique vouée aux sujets élevés et intemporels chers à la société de cour.
Dans notre communication, nous nous proposons donc de montrer à quel point les écrivains du XVIIIe siècle tels que Diderot et Mercier s’attachaient et s’amusaient à reproduire dans leurs œuvres le quotidien de la vie urbaine des parisiens. Nous nous intéresserons entre autres à la manière dont Diderot représentait le monde quotidien à la fois comme homme privé et écrivain.


TAEKO OYA (Université Aoyama Gakuin)
« Les représentations du quotidien chez Kyokutei Bakin »

(en japonais, avec traduction simultanée en français)

Kyokutei (Takizawa) Bakin (1767-1848) est un écrivain représentatif de la fin de l’époque d’Edo au Japon. Il a écrit une immense œuvre, dont le roman Histoire des huit chiens du Satomi de Nanso (Nanso Satomi Hakkenden). Mais, en véritable graphomane, Bakin a également laissé d’importantes archives sur sa vie et sa famille telles le Journal de Bakin (Bakin Nikki). Dans notre intervention, à partir de ces cahiers dont fait partie le Journal, nous voudrions mettre au jour une partie du « quotidien » de l’écrivain. Nous montrerons aussi comment le quotidien de Bakin se reflète dans ses œuvres, en considérant notamment le genre de livre illustré qu’on appelle Kibyôshi au Japon (ce qui signifie littéralement « couverture jaune », couleur qui identifiait physiquement cette sorte de manga pour les adultes dans l’Archipel durant l’époque d’Edo).




Session 10 « Approches du quotidien en France et au Japon à la fin du 19e et au début du 20e siècle »

NICOLAS MOLLARD (Maison franco-japonaise, Tokyo)
« Le quotidien dans les romans de l’époque Meiji »

(en français, avec traduction simultanée en japonais)

A priori, rien n’est plus éloigné de la société japonaise de la seconde moitié du XIXe siècle que l’attention esthétique portée au quotidien. De l’irruption des bateaux noirs (1853) aux premières guerres impérialistes contre la Chine (1894) puis la Russie (1904), la période connut de grands bouleversements sociaux et politiques, et c’est davantage un sentiment d’instabilité qui marqua les consciences. La littérature de fiction tente de saisir avec plus ou moins de bonheur l’ampleur de ces changements. La faveur du grand public va d’abord au fait divers, de préférence morbide, à la satire sociale de pratiques nouvellement importées, au rocambolesque des œuvres traduites (Verne, Dumas) ou des romans politiques. L’écriture du quotidien paraît plutôt confinée à d’autres genres – le journal intime, la poésie, les écrits au fil du pinceau… – et il faudra attendre les expérimentations de Masaoka Shiki, Kunikida Doppo ou Natsume Sōseki pour qu’elle vienne irriguer le roman en profondeur. Il semble pourtant déjà se dessiner, dès l’apparition des premiers romans dits « modernes », dans le sillage des Portraits d’étudiants d’aujourd’hui (1885), une tension entre la tentation de céder au romanesque spectaculaire et le projet de mettre en récit des vies ordinaires. À travers l’exemple de quelques écrivains de la première modernité (Tsubouchi Shōyō, Futabatei Shimei, Kōda Rohan), nous tenterons d’approcher la notion de quotidien dans une perspective générique.



SHU HIRATA (JSPS ; Université Dokkyo)
« De l’éternel au quotidien ? Au carrefour des idées d’André Breton et Henri Lefebvre »

(en français, avec traduction simultanée en japonais)

Le passage « de l’éternel au quotidien » ressemble-t-il à celui du spirituel au temporel, par lequel on entend la modernité ? Bien qu’il soit douteux que l’acception multiforme de ce terme se réduise à ce mouvement, il s’agit des Temps modernes dans lesquels la vie quotidienne se dessine à titre d’objet théorique. Comme Pierre Macherey le formule, la réflexion sur le quotidien surgit comme un tournant philosophique qui, passant par « la fin de la métaphysique », se tourne vers l’anthropologie philosophique faisant rupture avec « la possibilité de percer les secrets d’un ordre divin dans son principe », c’est-à-dire l’illusion de l’arrière-monde en termes nietzschéens. La question n’est donc pas de savoir la manière de révéler le monde noumène au-delà de la vie courante, mais celle de découvrir et d’éclaircir dans celle-ci ce qui résiste à une seule rationalisation, à savoir un mystère.
Le propos de cette communication est de mettre au point l’ambivalence de cette mystification, et ceci en articulant les théorisations de la vie quotidienne chez Breton et chez Lefebvre.




Session 11 « La question du quotidien dans la littérature japonaise d’après-guerre »

KOHEI KUWADA (Université de Tokyo)
« Ritournelles de la vie ordinaire : quelques remarques sur la poésie japonaise d’après-guerre »

(en japonais, avec traduction simultanée en français)

« KURASHI » (« la vie » en français) est un des thèmes importants dans la poésie japonaise d’après-guerre, ainsi que « La guerre », « la mort », « les condoléances », etc. Dans ce contexte le terme « KURASHI » signifie presque exclusivement « la vie quotidienne » des gens ordinaires dont font partie les poètes eux-mêmes. Notre intervention a pour but d’éclaircir les difficultés et les problématiques concernant la représentation poétique de la vie quotidienne en examinant certains poètes comme Taro KITAMURA, Hiroshi IWATA, Minoru YOSHIOKA et d’autres qui tentent d’ancrer le « KURASHI » dans leurs paroles poétiques.


MASANORI TSUKAMOTO (Université de Tokyo)
« Mishima et la poétique de l’inhumain »

(en japonais, avec traduction simultanée en français)

« Tu n’es pas humain », se dit le héros de la Confession d’un masque. La poétique de l’inhumain chez Mishima a beaucoup de points communs avec celle de certains écrivains modernes en France comme Baudelaire, Valéry ou Camus, dont les noms sont souvent cités par l’écrivain lui-même ou par des critiques. La conscience d’être exclu de la communauté des hommes et d’être déchiré en deux à l’intérieur de soi – entre un moi regardant et un moi regardé –, le sentiment de ne pas pouvoir comprendre la vie humaine, la prise de distance inévitable et impossible à combler avec le monde et les autres — toutes ces qualités inhumaines constituent la tonalité fondamentale de son univers romanesque. La vie quotidienne est construite dans ses romans avec ce sentiment d’étrangeté, de bêtise et d’inhumanité. Nous sommes pourtant obligés de constater une grande différence entre la poétique de l’inhumain chez Mishima et celle des écrivains français. L’excès et la radicalité de Mishima impliquent une orientation singulière, que nous espérons dégager en la comparant avec les écrivains français.



Session 12 « Violence et ébranlement du quotidien »

SHUICHIRO SHIOTSUKA (Université de Kyoto)
« Le quotidien et la violence : regards sur le paysage urbain chez quelques écrivains français contemporains »

(en français, avec traduction simultanée en japonais)

Inspirés par le concept de « l’infra-ordinaire » de Georges Perec, certains écrivains français contemporains, tels que François Maspero, François Bon et Philippe Vasset, ont rédigé des reportages sur la vie quotidienne dans la ville, en s’imposant des contraintes dites « existentielles ». Par ailleurs, Julio Cortázar et Jean Rolin, indépendamment de ces tentatives perecquiennes, en ont fait autant. Dans cette communication, nous allons d’abord montrer que l’observation minutieuse de la vie quotidienne, faite par ces écrivains dans leurs reportages, évoque souvent la violence comme la guerre ou le conflit. Ensuite, nous voudrions prendre en compte la raison pour laquelle le quotidien est associé à l’idée de violence, et examiner la relation entre ces deux concepts diamétralement opposés.



BRUCE BÉGOUT (Université de Bordeaux, France)
« L’horreur quotidienne. Trauma et habituation dans les situations extrêmes »

(en français, avec traduction simultanée en japonais)

Dans La Découverte du quotidien (2005), nous avions soutenu la thèse suivante : la quotidianisation, à savoir le processus d’adaptation au monde en fonction du rythme quotidien, avait un effet de familiarisation et de pacification des situations vécues. Nous voudrions tester cette thèse et la soumettre aux situations extrêmes de la guerre, de l’expérience concentrationnaire et des catastrophes pour vérifier si le socle quotidien des habitudes ainsi formé résiste à cet ébranlement de la vie, puis si, dans les conditions nouvelles du chaos, parvient à se recréer un semblant de vie quotidienne à travers la destruction des repères familiers et la création éventuelle de nouveaux. Enfin nous envisagerons la sortie de la situation extrême et le retour à la vie « normale ». Aussi notre intervention traitera-t-elle de trois moments fondamentaux : la déquotidianisation du choc, l’étrange et problématique requotidianisation dans la situation extrême et traumatique, et enfin la possibilité du retour à la quotidienneté antérieure et normale.

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